Les cormorans de Hita

Dans la ville de Hita, dans le département d’Ôita à une soixantaine de kilomètres à l’ouest de Beppu, un ami a croisé une plaque de regard de chaussée sur laquelle sont représentés un homme et trois cormorans. Deux oiseaux sont tournés vers la gauche. Celui au fond regarde dans l’eau, tandis que celui au premier plan y plonge sont bec. Entre eux, le troisième cormoran est tourné vers la droite et étend ses ailes triomphalement, un poisson dans le bec. L’homme semble porter un foulard sur la tête et des vêtements amples. Il se tient debout sur une barque et, dans son dos, on voit un flambeau. Dans sa main gauche, il tient un cordon relié au cou de l’oiseau qui a attrapé un poisson.

Dans cet article nous allons voir ce que fait cet individu avec ces oiseaux et pourquoi nous retrouvons des scènes similaires dans d’autres villes du Japon ?

Plaque de Hitashi figurant un pécheur et trois cormorans
Photo 1 : Plaque de regard de chaussée de Hita, pêche au cormoran ; photo par Xavier Maire

La pêche au cormoran

Cet homme pratique une technique de pêche dont l’histoire remonte à près de 1300 ans, la pêche au cormoran appelée ukai (鵜飼い) au Japon. U (鵜) est le mot japonais pour désigner les cormorans. Kai dérive du verbe kau (飼う) signifiant en réalité « élever », « domestiquer ». Cette technique de pêche est pratiquée chaque année de mai à octobre dans une quinzaine de villes de l’ouest du Japon.

Toutefois, en ce qui concerne Hita, la pêche au cormoran y aurait été introduite il y a seulement 400 ans. En 1594, quatre maître-dresseurs de cormorans s’y sont installés après avoir quitté les rives de la rivière Nagara. De nos jours, cette pêche débute un peu plus tard à Hita que dans le reste du Japon. Elle a lieu chaque nuit du 20 mai au 31 octobre, sauf les nuits de pleine lune ou quand la rivière est trop haute.

Localisation de la ville de Hita

Le maître des cormorans

L’homme qu’on aperçoit sur la barque (photos 1, 3 et 4) est le maître des cormorans (ushô, 鵜匠). Il porte traditionnellement une coiffe en tissu replié (kazaore-eboshi, 風折烏帽子), un vêtement de pêche (ryôfuku, 漁服) noir ou bleu foncé en coton. Un plastron (muneate, 胸あて) assorti, complète sa tenue pour le protéger des étincelles du flambeau mais un pagne en paille (koshimino, 腰蓑) le protège des éclaboussures et du froid. Enfin il chausse des demi-sandales en paille tressée (ashinaka, 足中) sous l’avant du pied pour éviter de glisser.

La chasse aux plaques

La pêche au cormoran est également mise en avant dans d’autres villes du Japon. Voici les plaques sur lesquelles on en trouve des représentations plus ou moins explicite. Nous en retrouvons évidemment a Gifu où passe la rivière Nagara, le berceau japonais de cette technique, mais on en trouve aussi à Iwakuni ou Ôzu.

Gifu

Plaque Gigu - deux cormorans nageant en cercle
Photo 2 : Deux cormorans, Gifu, photo courtesy of shikashio2525

En arrière plan, des hexagones rappellent les paniers tressées en bambou (ukago, 鵜籠) dans lesquels les cormorans pour la pêche sont transportés. Au premier plan, deux cormorans nagent pour attraper trois petits poissons, deux à droite et un à gauche. Ils décrivent un cercle autour de l’emblème de la ville de Gifu : le premier caractère de l’ancien nom de la ville, Inokuchi (井の口). 

Iwakuni

Plaque Iwakuni - un pécheur et ses cormorans devant les arches d'un pont - au loin un chateau et la lune
Photo 3 : Pêche au cormoran, pont Kintai et château d’Iwakuni, photo courtesy of purin_no_odekake

Sur cette troisième plaque, au premier plan, on voit également une scène de pêche au cormoran. Le maître pêcheur est installé sur une barque à l’avant de laquelle se trouve aussi un flambeau. Le pêcheur tient cinq cordons tendus vers la surface de l’eau mais on ne voit que trois silhouettes d’oiseaux sur l’eau devant la barque.

Traversant le centre de la plaque on voit le pont Kintai (kintaikyô, 錦帯橋) reconnaissable à ses cinq arches reposant sur de grosses piles en pierre. Ce pont est situé dans le département de Yamaguchi au sud-ouest de Hiroshima. Il enjambe la rivière Nishiki depuis 1673 mais il a été reconstruit en 1953 quelques années après avoir été détruit par un typhon. En arrière plan, on voit la pleine lune à gauche dans un ciel nuageux et à droite sur des hauteurs le château d’Iwakuni construit au début du XVIIe siècle.

Miyoshi

Plaque de Miyoshi - 2 cormorans
Photo 4 : Deux cormorans tête-bêche, Miyoshi, photo courtesy of rio_drainspotting

Les deux cormorans représentés tête-bêche sur cette plaque sont également une référence à la pêche où ils sont employés comme l’indique le terme ukai (うかい) écrit sur la plaque. A l’opposé, on peut lire le nom de la ville de Miyoshi. Le nom est noté en trois kana (miyoshi, みよし) au lieu d’être écrit en deux kanji (三次) pour conserver la symétrie de la composition. Cette ville est située au nord-est de Hiroshima sur la rivière Basen. Entre les deux oiseaux, des ondulations évoquent les mouvements de l’eau sur laquelle flottent des pétales et des fleurs de cerisier.

Inuyama

Plaque d'Inuyama, un pécheur avec trois cormoran dans les douves du château représenté en arrière plan
Photo 4 : pêche sur la rivière Kiso et château d’Inuyama, photo courtesy of a.u1129_manhole

Sur cette quatrième plaque on voit encore un maître pêcheur sur une barque équipée d’un flambeau, tenant trois cormorans en laisse. La scène se déroule sur la rivière Kiso au pied du château d’Inuyama près de Gifu, au nord de Nagoya. Le fond vert de la plaque et les silhouettes noir peuvent rappeler le caractère nocturne de la pêche.

Ôzu

Plaque d'Oozu - Deux cormorans
Photo 5 : Cormorans, truites et rhododendron, Ôzu, photo courtesy of nieponmh

La ville d’Ôzu, sur l’île de Shikoku, est bordée par la rivière Hiji. On y trouve une plaque sur laquelle on peut également voir deux cormorans. Celui à l’avant flotte sur la rivière tandis que celui du fond, en haut à gauche, est debout sur un petit ilot où il déploie ses ailes. Devant lui, trois truites sont représentées. Au premier plan, les trois fleurs de rhododendron, figurent la fleur emblématique de la ville désignée en 2005. Les cormorans semblent être en liberté mais Ôzu fait partie du top trois (avec Gifu et Hita) des lieux où est pratiqué l‘ukai.

Cormorans de mer et de rivière

Les cormorans élevés pour la pêche au Japon sont des cormorans de mer [Phalacrocorax capillatus] (umiu, 海鵜) car ils sont plus forts et plus résistants que leurs cousins des rivières [Phalacrocorax carbo] (kawau, 川鵜). Il y en a généralement une vingtaine chez un maître et ils sont associés en binôme. C’est probablement la raison pour laquelle ces oiseaux sont représentés par paires sur certaines plaques de regard de chaussée (photos 2, 3 et 5). Tous les cormorans employés pour la pêche sont capturés à Hitachi, dans le département d’Ibaraki au nord-est de Tokyo. Après leur capture, les oiseaux sont envoyés à leur maître adoptif au cours de l’hiver. Là, leurs rémiges sont taillées pour les empêcher de voler. Ils sont ensuite entraînés pendant deux à trois ans avant d’atteindre leur maturité.

Itinéraire de Hita à Hitachi en passant par les villes mentionnées dans cet article

En plus du taillage des rémiges, le maître des cormorans s’assure qu’ils ne s’échappent pas en les gardant attachés en laisse. C’est également une sécurité pour la survie de l’oiseau dont la fuite lui serait fatale car pendant la pêche une ficelle est nouée autour de son cou pour bloquer les plus grosses prises. Le maître peut ensuite facilement récupérer les proies en faisant régurgiter le cormoran.

Entre tradition et attraction touristique

La nécessité d’utiliser une laisse s’expliquerait par le fait que les cormorans ne seraient que semi-domestiqués. En revanche, en Chine où l’on trouve encore des pêcheurs au cormoran, les oiseaux sont totalement domestiqués et n’ont donc pas besoin d’être attachés. La pêche au cormoran est encore pratiquée à quelques endroits de Chine mais cette pratique ancestrale est en perdition et ne semble survivre que grâce à son intérêt touristique.

Au Japon, la pêche au cormoran est également devenue une attraction touristique. Néanmoins, une partie de cette pratique est toujours encadrée par l’Agence de la maison impériale car à l’origine le devoir des maîtres pêcheurs était d’offrir à l’Empereur les truites qu’ils pêchaient.

Pour conclure, voici un aperçu en vidéo du spectacle auquel on peut assister les nuits de mai à octobre en allant sur la rivière Nagara à Gifu :

Reportage montrant la pèche au cormoran sur le rivière Nagara à Gifu

Sources et ressources

Photos : Perce-image

Vidéo : NatGeo Wild France

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