Plaques Kokeshi – Partie 4 : Gunma

Il est fort possible qu’en pensant aux kokeshi, l’image qui vous soit venue à l’esprit ne correspondait pas aux styles traditionnels dont nous avons vu quelques exemples dans les articles précédents. Peut-être avez-vous pensé à des poupées à l’opulente chevelure noire comme celle que portent deux des poupées représentées sur les plaques de Yoshioka.

Sommaire

Les kokeshi traditionnelles

Avant d’aller plus loin, un petit rappel s’impose. Dans les parties précédentes, nous avons vu trois styles traditionnels :

  1. Naruko [鳴子系, à Miyagi],
  2. Tsuchiyu [土湯系, à Fukushima],
  3. Tsugaru [津軽系, à Aomori].

Même si certains puristes ne comptent encore que 10 styles traditionnels, il est courant de distinguer le style Sakunami  [作並系, présent à Miyagi] du style Yamagata présent dans le département voisin du même nom. De plus, il est fort probable que le style Nakanosawa [中丿沢系, présent à Fukushima] que nous avons évoqué en 2ème partie, soit bientôt reconnu en tant que 12ème style traditionnel.

Pour information, les sept autres styles traditionnels définis dans les années 1940, sont les suivants :

  • Nanbu [南部系, à Iwate], 
  • Kijiyama [木地山系, à Akita], 
  • Hijiori [肘折系, à Yamagata], 
  • Yamagata [山形系, à Yamagata],
  • Zao-Takayu [蔵王高湯系, à Yamagata],
  • Tôgatta [遠刈田系, à Miyagi], 
  • Yajiro [弥治郎系, Miyagi]

Mais jusqu’à présent, il n’existe pas de plaque de regard de chaussée qui leur a été dédiée. Comme on peut le voir, il n’y a pas de style traditionnel originaire du département Gunma. Pour comprendre la plaque dont nous allons parler dans cette partie, il faut savoir que la production des kokeshi n’est pas limitée à ces styles traditionnels.

Les kokeshi créatives

En effet, les kokeshi qualifiées de “créatives” (Sôsaku-kokeshi, 創作こけし) sont des poupées qui ne répondent pas à la totalité des critères des styles traditionnels. Elles peuvent s’en écarter de manière plus ou moins notable. Les kokeshi créatives se distinguent également par leur procédé de fabrication qui peut combiner le traditionnel tour à bois à d’autres techniques comme la gravure ou la sculpture.

Plaque polychrome de Yoshioka
Trois kokeshi créatives – Plaque polychrome de Yoshioka – Photo originale par @himitsu.no.akko34

Yoshioka

Ce dernier modèle de plaque se trouve dans le bourg de Yoshioka (Yoshioka-machi, 吉岡町) dans le district de Kita-Gunma du département de Gunma. Nous quittons donc la région du Tôhoku pour nous rendre dans ce département situé au sud-ouest de Fukushima.

Sur cette plaque, nous voyons le nom du bourg écrit en lettres capitales et trois kokeshi entourées par deux énormes grappes de raisins. Les trois kokeshi représentées sur une diagonale au milieu de cette plaque sont toutes différentes.

Kokeshi n°1

La première kokeshi, en bas à gauche, est coiffée d’un chignon qui surplombe une chevelure noire qui descend sous les épaules. Elle a deux yeux mais pas de bouche. Ses mains, cachées dans les manches de son kimono, sont jointes devant sa poitrine. Son kimono est orné de points rappelant des fleurs en bouton. Un obi ceint la taille et apparaît entre les manches. Dans la partie inférieure de la poupée, le kimono s’arrête et laisse apparaître une base cylindrique traversée par une incision verticale qui évoque un reflet de lumière.

Kokeshi au kimono vert
Kokeshi au kimono vert
– détail extrait de la plaque de Yoshioka

Kokeshi n°2

La deuxième kokeshi, au centre, se rapprocherait presque des poupées traditionnelles. Son visage est représenté par deux parenthèses horizontales pour les yeux et par une bouche souriante. Sa chevelure est simplement composée d’une frange et de deux mèches sur les tempes surmontées de trois points décoratifs. Le cou est très fin par rapport aux diamètres de la tête et du corps. Son corps est composé d’un simple cylindre qui s’évase au niveau du col et semble creusé à la base du cou. Des fleurs sont représentées par cinq petites croix et deux lignes parallèles symbolisent une ceinture placée sous l’ouverture du col.

Kokeshi au kimono blanc
Kokeshi au cou fin
– détail extrait de la plaque de Yoshioka

Kokeshi n°3

La troisième kokeshi, en haut à droite, ressemble un peu à la première poupée mais sa pose est plus dynamique. Elle est coiffée d’une épaisse chevelure qui tombe jusqu’aux épaules, mais elle n’a pas de chignon. Sa tête est légèrement inclinée tandis qu’elle lève sa manche gauche comme pour cachaer son sourire d’une main. Là aussi, le kimono est orné de fleurs. On en distingue trois qui pourraient être des fleurs de prunier aux pétales arrondis.

Kokeshi au kimono jaune
Kokeshi au kimono jaune
– détail extrait de la plaque de Yoshioka

Les concours de kokeshi modernes

Les kokeshi créatives peuvent aussi être qualifiées de “modernes” (Kindai-kokeshi, 近代こけし) car les premières sont apparues après la seconde guerre mondiale.

Rapidement, des concours ont été créés pour récompenser les meilleures créations. 

  • Le premier Concours national de poupée kokeshi (Zenkoku-Kokeshi-Ningyô-Konkûru, 全国こけし人形コンクール) est organisé en 1954. Il devint l’exposition nationale de kokeshi moderne (Zenkoku-Kindai-Kokeshi-Ten, 全国近代こけし展) à partir de 1977.
  • Le Concours national japonais de kokeshi (Zen-Nippon-Kokeshi-Konkûru, 全日本こけしコンクール), le plus important encore de nos jours, est organisé dans la ville de Shiroishi (Miyagi) depuis 1958.
  • Enfin, les artisans du département de Gunma se sont distingués très tôt, permettant la mise en place, en 1959, du premier Concours de kokeshi modernes du département de Gunma (Zen-Gunma-Kindai-Kokeshi-Konkûru, 全群馬近代こけしコンクール) qui se poursuit depuis 60 ans.

En 1994, les kokeshi de Gunma ont été reconnues comme faisant partie des artisanats traditionnels du département (Gunma-Ken-Furusato-Dentô-Kôgeihin, 群馬県ふるさと伝統工芸品). Cette reconnaissance pourrait expliquer pourquoi ce design de plaque a été créé en 1996. L’autre lien avec les kokeshi pourrait se trouver dans le village de Shintô (Shintô-mura, 榛東村) qui occupe l’autre moitié du district de Kita-Gunma. C’est là que se trouve l’atelier Usaburô.

Les kokeshi Usaburô

L’atelier Usaburô produit sans doute les kokeshi les plus connues dans le monde. C’est l’atelier le plus important de Gunma. Usaburô Okamoto (Okamoto Usaburô, 岡本卯三郎, 1917-2009) a fabriqué ses premières kokeshi créatives à partir de 1950. Il a alors exploré l’utilisation de nouvelles essences de bois locales et a introduit de nouveaux procédés décoratifs.
Par la suite, l’atelier devient une entreprise familiale. C’est ainsi qu’aujourd’hui six membres de la famille et une vingtaine d’employés y produisent des kokeshi. Les plus jeunes membres de la famille sont les deux petits-fils du fondateur : Yoshihiro Okamoto (Okamoto Yoshihiro, 岡本 義弘, 1972-) et Hiroyuki Okamoto (Okamoto Hiroyuki, 岡本 弘行, 1974-).

Des onsen aux aéroports

Si vous ne connaissiez pas son nom, il y a de forte chance que vous ayez déjà vu une kokeshi issue de l’atelier Usaburô. En effet, cet atelier spécialisé dans les kokeshi créatives a optimisé sa chaîne de production pour pouvoir produire des kokeshi de qualité en très grande quantité. Ainsi le processus de fabrication est divisé en étapes attribuées à plusieurs opérateurs spécialisés et certaines formes de base sont même fabriquées par des machines de calibrage.

La popularité des kokeshi Usaburô est liée à la modernité et à la variété des design proposés, mais elle est aussi dû à une stratégie visant à faire de ces kokeshi des souvenirs de voyage non plus uniquement pour les curistes japonais mais pour tous les touristes étrangers. C’est pourquoi, ces kokeshi ont très tôt été vendues dans les boutiques des aéroports internationaux.

Vidéo présentant l’atelier et les kokeshi Usaburô

Un artisanat vieillissant

Plaque monochrome de Yoshioka
Trois kokeshi créatives – Plaque monochrome de Yoshioka – Photo originale par @himitsu.no.akko34

Il n’y a évidemment pas que l’atelier Usaburô à Gunma et c’est ce que reflète le design de la plaque. Malheureusement, sur les 27 artistes et artisans récompensés lors des Concours de kokeshi modernes du département de Gunma, depuis sa création jusqu’en 2019, 7 sont déjà décédés et 14 ont plus de 65 ans.

On peut notamment citer : 

  • Ryoka Aoki (Aoki Ryoka, 青木寥華, 1931-), la doyenne actuelle, aux adorables kokeshi ;
  • Toshio Sekiguchi (Sekiguchi Toshio, 関口俊夫, 1947-)dont certaines kokeshi, avec leur cou très fin, rappellent la forme de la kokeshi n°2 ;
  • Hiroshi Iguchi (Iguchi Hiroshi, 井口悟, 1948-) dont les kokeshi à la surface minutieusement gravée jouent avec la lumière ;
  • Yasunobu Oki (Oki Yasunobu, 沖泰宣, 1955-) aux grandes statuettes modernes ;
  • Kazumi Fujikawa (Fujikawa Kazumi, 藤川和美, 1951-) qui a reçu de nombreux prix au cours des dernières années pour ses kokeshi à l’épaisse chevelure dont les kimono fleuri rappellent les kokeshi n°1 et n°3.

Toujours parmi les artisans de Gunma récompensés, il n’y a que quatre artisans âgés de moins de 60 ans :

On retrouve les deux frères de l’atelier Usaburô : Yoshihiro et Hiroyuki Okamoto ; Yuichi Miyagawa (Miyagawa Yuichi, 宮川雄一, 1964-) et enfin Eiichi Fujikawa (Fujikawa Eiichi, 藤川衛一, 1970- ) récompensé consécutivement de 2016 à 2019.

Présentation en japonais des kokeshi présentées au Concours de kokeshi modernes du département de Gunma en 2021 et interview d’Eiichi Fujikawa qui a remporté la plus haute récompense, le prix du Premier Ministre :

Eiichi Fujikawa qui a remporté en 2021, la plus haute récompense du Concours de kokeshi modernes du département de Gunma : le prix du Premier Ministre ; est d’ailleurs le président de l’atelier Fujikawa dont voici une présentation en vidéo :

Reportage sur l’atelier Fujikawa, sur la chaîne Youtube du Jetro de Gunma

On peut remarquer que la production de l’atelier Fujikawa est également répartie entre plusieurs employés qui réalisent des tâches spécifiques comme c’est le cas dans l’atelier Usaburô.

Les vignobles de Yoshioka

Les kokeshi ne semblent pas faire référence directement à Yoshioka, en revanche les grappes de raisins font bien référence à une spécialité de Yoshioka. En effet, selon les guides touristiques ce serait l’une des meilleures destinations pour cueillir soi-même du raisin.

Yoshioka, n’a pas la plus grosse production de raisins du département, néanmoins son atout réside dans l’Association du raisin du canton d’Ogura du bourg de Yoshioka (Yoshioka-machi-Ogura-Budô-Kumiai, 吉岡町小倉ぶどう組合) créée en 1963. Grâce à elle, une d’une dizaine de vignobles se sont associés pour permettre aux visiteurs de venir cueillir eux-mêmes leur grappes de raisins, parmi une vingtaine de cépages, entre août et octobre.

De plus, ces vignobles se situent à moins de 2 km de l’atelier Usaburô et comme Yoshioka est le bourg le plus important dans le district, il est possible qu’il ait eu la priorité sur le village de Shintô pour promouvoir l’artisanat des kokeshi moderne de Gunma.

Le district de Kitagunma contenant le village de Shintô à l’ouest et la ville de Yoshioka à l’est

Conclusion

En suivant ces plaques, j’ai appris à mieux apprécier les différents styles et types de kokeshi. Découvrir le travail des artisans derrière chaque pièce m’a donné envie de partir à leur rencontre et de soutenir ce savoir-faire en adoptant de nouvelles kokeshi !

Même si j’ai très envie de faire la connaissance des artisans de chacun des douze styles traditionnels, pour le moment, ce sont les kokeshi du style Tsugaru qui ont ma préférence.

Et vous quels styles préférez-vous ? Dites-le moi dans les commentaires !

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Il est plus que temps pour nous de reprendre l’aventure des PokéPlak. Cette fois nous irons encore plus au nord ! Toutefois, il se pourrait que nous fassions un nouvel arrêt dans le département d’Aomori…

Sources et ressources

Photos : Auteurs indiqués sous chacune d’elle.
Illustrations : Perce-image

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